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Naviguer entre tradition et nouveauté

Pour les peuples insulaires, le bateau est la promesse d’aventure et de liberté. Mais plus encore, il est la métaphore de nos vies qui doivent voguer entre le ressac de la tradition et la houle de la nouveauté.

C’est grâce au philosophe de l’antiquité grecque Plutarque que nous connaissons l’histoire de Thésée, le héros athénien victorieux du minotaure, dont le bateau fut conservé en hommage à ses exploits. Pendant de nombreuses années, les Athéniens remplacèrent graduellement les planches usées de ce bateau par de nouvelles, assurant ainsi sa longévité dont on raconte qu’elle dura des siècles. Ce processus continu aboutit au point où, à un moment donné, toutes les planches d’origine furent remplacées. Il fallut alors se poser la question s’il s’agissait bien du même bateau. “Évidemment !”, répondirent avec certitude ceux qui arguaient que le bateau détenait toujours la même forme, la même fonction et qu’il était toujours constitué de bois. D’autres, plus sceptiques, s’interrogeaient : si aucun élément d’origine était présent, comment cela pouvait-il être le même bateau ?

Cette question revêt une dimension bien plus passionnante lorsqu’on la transpose dans le champ humain : dans le flot des transformations permanentes propres à la vie humaine, qui sommes-nous ? Sommes-nous les mêmes après avoir changé de coupe de cheveux ou vécu une rupture amoureuse ? Nous nous posons rarement cette question au quotidien car les changements sont souvent minimes pour faire surgir de tels dilemmes existentiels. Mais il y a des moments où cette interrogation surgit avec plus de force, lors d’une célébration d’anniversaire, par exemple : que perd-on lorsque l’on gagne une bougie sur le gâteau ? Qu’apportent les années ?

On se contemple dans le miroir, reconnaissant les mimiques de l’enfant que nous étions, tout en traquant les rides naissantes. Quiconque s’est déjà livré à l’exercice de plongée dans les photographies de son enfance, a ressenti cette impression qui peut sembler paradoxale, d’être toujours un peu cet enfant et de lui être en même temps complètement étranger.

“Qui suis-je ?”, question posée par la philosophie depuis des siècles, dont l’évidence n’a d’égale que la complexité. Il aurait été certainement plus simple (et bien moins intéressant !) de pouvoir se définir comme un objet immuable, pleinement saisissable, sans ambiguïté ni possibilité de modification. Condamnés à être en transformation permanente par chaque rencontre, chaque expérience, chaque heurt ou bonheur, sommes-nous en même temps condamnés à ne jamais nous connaître véritablement ? C’est tout l’inverse, car c’est au sein même de ce processus de transformation que réside la possibilité de la connaissance de soi. En étant attentif aux variations, parfois subreptices, de notre âme, nous pouvons mieux saisir notre fonctionnement et nos spécificités.

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par Anouchka Sooriamoorthy-Desvaux de Marigny

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